Hugo TSR où la recette miracle du disque d'or

 Hugo TSR, c'est l'un de ces rappeurs qu'on ne présente plus, et qui pourtant est la discrétion incarnée. Figure phare de l'underground français, il a réussi à faire certifier deux de ses albums en disque d'or. Quelle est la recette de ce succès ? C'est ce que nous allons voir ensemble aujourd'hui.



En me mettant à écrire cet article, je savais qu'il ne serait pas aisé de trouver des informations sur Hugo TSR, anciennement Hugo Boss. En effet, il n'a donné que très peu d'interview, qu'on peut encore trouver sur les méandres d'internet en Pologne. Même quand on évolue dans le milieu, c'est pas un artiste qu'on côtoie beaucoup. J'ai du le croiser 2 fois en 10 ans et il a toujours été très en retrait. C'est donc sur le témoignage de son entourage, des acteurs du rap underground et surtout de ses textes qu'on peut en apprendre le plus sur l'artiste.

J'ai connu Hugo TSR à l'aube des années 2010. A cette époque, je vis dans un village de province, en Alsace. A Paris, c'est déjà un artiste en place dans l'underground, mais chez nous, provinciaux, seuls les plus avertis le connaissent. J'ignore comment, mais cette année là, trois membres du Gouffre (Tragik, Fonik et Salazar) sont venus passer quelques jours en été dans un village au nom imprononçable à côté de chez moi, Schwindratzheim. J'ai jamais su comment ils ont atterri là, mais ils sont venus squatter chez un pote du collège, Kovax. Evidemment dans nos campagnes, 3 rappeurs parisiens qui se pointent ça fait du bruit. Et les gouffriers ne sont pas venus seuls, mais avec une pléthore de connaissances dans le rap dont Hugo TSR. A cette époque on l'ignore totalement, mais la visite de ces 3 trois mcs va marquer définitivement mon entourage. Dans ma promotion de lycée, on y trouve Saligo, aujourd'hui vice-champion du monde de Scratch et DJ de Davodka, Jones et Mesk1 du MTO qui ont retourné les murs de Strasbourg, Alexis, ancien DJ de 7 Jaws et moi même, activiste, productrice et manager. Dans tout ce beau monde, nous avons tous un lien avec des personnes qui étaient présentes lors du séjour du Gouffre en Alsace. Ils ont probablement marqué à jamais la place du rap underground à Strasbourg. 

C'est donc d'abord en temps qu'auditrice que j'ai observé la carrière d'Hugo TSR. Quand j'ai commencé à l'écouter, il comptait 25 000 vues à peine sur les titres de l'Album Flaque de Samples, ce qui est déjà énorme pour de l'underground mais à des années lumières de ce qu'il serait capable d'engendrer en écoute des années plus tard.

Comment un mec aussi discret a-t-il pu finir double disque d'or et reconnu par ses paires comme la tête de l'underground français de la décennie ? C'est ce que j'ai essayé de découvrir en décortiquant la recette de son succès.

Ingrédient n°1 : Un bon entourage

Avant Hugo TSR, y'a le TSR Crew composé à l'origine de Hugo,Vin7, Kayzo, Nero et Omry. Le TSR c'est l'acronyme de "Tize Shit Rap" ou de "Tous Sur les Rails" selon les anciens. Quoi qu'il en soit c'est à la base un crew de Graffiti qui trouve sa source dans le 18ème arrondissement de Paris au début des années 2000. Si on peut encore apercevoir quelques pièces de Nero dans les alentours de Jules Joffrin, Hugo lui évolue sous un autre blase. (Pour les plus avertis d'entre nous, vous avez reconnu le clin d'oeil dans "Dégradation".)



Ils sortent un premier projet "Faut qu'on taille" en 2004, suivi de "A quoi ça rime" en 2007. En 2013, Kayzo quitte définitivement le groupe, Nero lui se fait plus discret. Et on arrive progressivement à la formation actuelle qui est composé de Hugo, Vin7, Omry et Wassim qui deviendra DJ et Manager du TSR. Quoi qu'il en soit, que ce soit dans les collaborations où dans son équipe, Hugo est entouré depuis ses débuts par les mêmes personnes, mais surtout, on a vu cet entourage réduire peu à peu avec les années jusqu'à n'arriver qu'à un petit noyau dur. Aujourd'hui, ses collaborations se limitent aux membres du Crew ou certains gouffriers quand il y a encore quelques années on le voyait en featuring avec Swift Guad, l'Indis ou même encore la Sexion d'Assaut. "Laissez moi dans mon monde, le TSR Crew c'est pas les Beattles". 

Cette approche a plusieurs avantages. D'une part, être entouré de gens de confiance et qui nous connaissaient avant le succès permet de s'assurer de rester vrai, d'évoluer dans une direction qui nous ressemble et surtout, de ne pas se laisser happer par la reconnaissance. Entouré des siens, le quotidien d'Hugo n'a probablement pas du beaucoup changer si ce n'est son confort, et avoir cette bulle où l'on peut demeurer l'homme avant d'être l'artiste est importante. D'autre part, cela à un aspect rassurant d'être avec des gens de confiance, qui ne sont pas uniquement là par intérêt. Ca permet de kiffer d'autant plus son succès quand on peut le partager avec ceux qu'on aime. Enfin, être sélectif lui a aussi permis d'être attractif. Aujourd'hui, tout le monde veut travailler avec Hugo TSR, justement parce qu'il ne travaille avec personne. Chacun de ses featurings est un événement et garantie le succès d'une sortie.

Ingrédient n°2 : La discrétion 

Dans le rap underground, et cela s'applique à toutes les disciplines musicales, on aspire avant tout à être écouté. Et pour cela, on usera de tous les stratagèmes proposés aujourd'hui, les réseaux sociaux, communications, concerts, interviews, teasing, featuring. Les méthodes sont diverses et variées pour arriver à la notoriété. 

Hugo lui, n'utilise rien de tout ça. A l'instar de PNL ou Nekfeu, c'est l'un des rares artistes à pouvoir sortir un clip en pleine nuit sans prévenir personne et rencontrer pourtant un succès fulgurant. Il ne communique pas, ne tease pas ou très peu, il peut facilement disparaître pendant 1 an sans être inquiété de voir son prochain titre faire un flop. Ses tournées sont relativement courtes, toujours annoncées au compte goutte et surtout sur des délais très courts et pourtant il fait des complets sur quasiment tous ses concerts. Il n'a donné que de très rares interviews à ses débuts, pareil pour les radios, n'a pas de merchandising, et comme dit précédemment, il ne fait que très peu de featuring. "J'suis rappeur pas dealer, j'fais de la musique pas des t-shirts".

Mais alors, comment se fait-il que cela fonctionne ? Et bien, c'est justement ça le secret. Les apparitions d'Hugo sont tellement rares que chacune d'elles est un événement. On sait qu'un post sur Facebook s'accompagnera forcément d'une sortie de single ou d'un concert à venir. Il ne s'encombre pas de communication superflue, va à l'essentiel et permet à son public de se concentrer uniquement sur les informations clés et de capter ainsi toute son attention.




Ingrédient n°3 : Le travail

Hugo TSR, ce n'est pas juste un rappeur. Il est aussi beatmaker, ingé son et producteur. Il gère absolument tous les aspects de création, production et distribution de sa musique, même si on l'a vu collaborer avec des beatmakers comme ArtAknid. Il demeure l'acteur principal de ses sorties d'album. Et cela se ressent dans l'ensemble.

Outre le fait qu'il a la réputation d'être un bourreau de travail et d'être très critique envers lui même, on ressent une véritable unité dans l'ensemble de ses projets. Ce rappeur c'est un peu le sportif qu'on a découvert en club de formation et qu'on a continué à supporter pendant toute sa carrière. On l'a vu évoluer, grandir, devenir sur chaque projet plus performant. On connait ses qualités et on est pas tellement étonné de le voir finalement décrocher le ballon d'or. 

On lui reproche souvent son manque d'innovation, mais il est totalement assumé. "J'ai pas changé d'adresse, pourquoi j'aurais changé de flow ?" C'est là dessus qu'on ira sur l'ingrédient suivant.




Ingrédient n°4 : L'authenticité

Si tu demandes à son public pourquoi il l'écoute, je suis persuadée que 90 % d'entre eux au moins te diront que c'est pour son authenticité. 

Un crane rasé sous une casquette et capuche depuis les années 2000, le mc alsacien japonais n'a pas changé. Même flow, même technique d'écriture, même manière de s'habiller, même gestuelle. Il n'y a que la maturité qui nous permet de différencier Hugo Boss d'Hugo TSR. "Je reste moi-même, les autres c'était déjà pris".

Dans le milieu hyper-libéraliste du rap français, il fait figure d'OVNI. Malgré ses deux disques d'or, le rappeur du 18ème reste ce gars qui nous raconte ses journées à MaxDo. Pas de grosse marque, pas de grosse voiture, pas de grand discours sur sa réussite, pas de remerciement et les certifications brulées dans un clip, comme si ce succès n'était ni assumé ni vraiment apprécié, voir même un fardeau.  "Là c'est mon tour, j'préfère rester sur le banc de touche".

Parce que oui, parmi ses détracteurs, beaucoup reprochent au rappeur parisien d'être un tourne disque qui joue le même vinyle depuis plus d'une décennie. Et il m'est en effet arrivé par moment de moins écouter Hugo, parce qu'en prenant de l'âge, en voyant ma vie changer, je ne me reconnaissais plus que très peu dans ce qu'il racontait. Mais son dernier album m'a interpellé. Bien plus sombre que les autres bien qu'apparu après la reconnaissance de son succès, Hugo y dépeint encore ce même quotidien, mais cette fois comme si il y était coincé, qu'il était prisonnier de sa propre existence. "Chaque année qui passe, c'est quelques rimes en plus et quelques rêves en moins." J'ai récemment traversé une période assez difficile, avec une impression de faire du sur-place, d'être spectatrice de ma propre vie. En écoutant cet album, c'est exactement la même sensation que j'ai ressenti. Alors je me suis demandée si l'homme n'avait pas fini par être victime de l'artiste, à l'instar de Diam's qui nous expliqué dans le titre "Mélanie" que son personnage avait créé une véritable dualité dans sa vie et dans sa personnalité. Hugo a fait preuve de tant de vérité et d'authenticité que les deux entités sont forcément coincées dans le même corps et sont indissociables, probablement à son détriment. Moi même, tout le long de mes lignes, je l'aurais appelé "Hugo" comme si nous avions une proximité alors que nous n'avons jamais échangé.




L'ingrédient spécial : Un public de soldat

La pincée de sel pour finir le plat, c'est son public. Si on peut encore appeler ça comme ça. Le public d'Hugo TSR est connu dans le milieu pour être composé de véritables convaincus, de vrais soldats. Impossible de publier une critique à l'encontre de l'artiste sans voir une vague de soutien arriver derrière. Ils ont pris très au sérieux le surnom "Roi des Punchlines légendaires" et brandissent l'épée dès que leur souverain élu malgré lui se retrouve sur un champ de bataille et sont au rendez-vous pour chacune de ses campagnes, concerts complets, certifications, streams, rien ne leur échappe. En 2005 il se demandait qui sera sur le trône, il ignorait probablement à ce moment là qu'il serait le prétendant au titre.

Pour conclure, la recette du succès d'Hugo TSR est composé de beaucoup d'authenticité, de travail, d'un public fidélisé mais surtout d'un charisme qui lui est propre. Je suis persuadée que c'est un chemin de réussite très unique, un schéma qui ne fonctionnera pas si on le suit. Et c'est aussi ça la force d'Hugo, c'est d'avoir réussi là où personne ne l'y attendait. Il a indubitablement marqué plusieurs générations du rap. Les anciens qui ont la fierté de voir l'un de leurs héritiers réussir en conservant les codes du rap de l'époque, ses comparses qui ont secrètement jalousé sa réussite mais ont eu la fierté de collaborer avec un artiste de cette envergure, et surtout, la jeune génération de rappeur underground qui se mettent à rêver de pouvoir suivre la même route.







 


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Athanor de Django, l'album d'une genèse.

Rap indépendant, comment le définir aujourd'hui ?