Le Poison.

 



Il a commencé à s’immiscer dans ma vie en fin d’année 2020. C’était une époque charnière. Après la rupture la plus importante de mon existence, j’avais perdu mes repères. Je devais chercher à savoir qui j’étais, sans la personne qui a été mon pilier pendant 7 ans. En effet, après des abus dans l’enfance, de la violence conjugale dans l’adolescence et un viol par circonstances aggravantes, j’étais détruite et la dépendance affective a été ma seule survie.

C’est là qu’il a fait son apparition. Au début, ça semblait doux et agréable. Protecteur, j’avais le sentiment que cela me donnait les armes pour me reconstruire. Alors j’ai baissé ma garde, et j’ai laissé transparaitre le plus profond de mon être, les plus grandes de mes fragilités, hontes, pensées en espérant que cette nouvelle béquille m’aiderait à porter le poids de ce que je suis. C’est à ce moment là que le poison en a profité pour infiltrer chaque cellule de mon cerveau.

Au début, ce n’était que des mots. Quand je parlais de mon passé, chaque histoire d’amour, chaque bêtise d’adolescente était le prétexte à l’insulte. « Sale Chienne », « t’étais vraiment une pute ». Mais moi je fermais les yeux, mon estime de moi-même était tellement basse que je prenais chaque mot pour argent comptant. Il devait avoir raison, lui qui était si parfait. Je me devais d’être à la hauteur, il avait quitté sa famille pour moi. Alors j’allais devoir devenir la femme qu’il méritait.

J’étais surveillée en permanence. Mes réseaux sociaux étaient connectés en simultané sur son téléphone. J’étais géolocalisée. J’ai dû d’ailleurs supprimer tous mes comptes et en recréer de nouveau. Mon passé était d’après lui la pire image de moi, et je ne devais en laisser aucune trace. J’avais interdiction de communiquer avec des hommes, qu’importe s’ils étaient de ma famille ou des amis de longues dates. Je n’avais le droit que de prendre des nouvelles de mon fils auprès de son père, et les échanges étaient surveillés. Mes amies étaient sélectionnées, celles qui ne voyaient pas notre relation d'un bon oeil étaient diabolisées.

Mes tenues vestimentaires étaient scrupuleusement inspectées. Le plus large possible, les cheveux couverts, le maquillage et le parfum seulement à la maison. Mes vêtements « d’avant » et les sweats de mes rappeurs préférés devaient finir à la poubelle. Ça aussi, ça appartenait à mon passé.

Mais c’est aussi tout mon être qui était dirigé. Je n’avais plus le droit d’écouter du rap, mon alimentation était surveillée, ma manière de tousser, de parler, de bailler, de rire, de manger, mes contacts professionnels, mes hobbies, mes trajets, mes sorties, mes amitiés, mes achats, tout était inspecté. Je n’avais plus aucun contrôle sur rien alors que je gérais tout, l'entretien de la maison, le loyer, les dépenses. Tel un pantin j’étais accroché aux ficelles qui me retenait au poison, et quand les ficelles disparaissaient, je devenais un être inerte. J’étais dépendante du poison alors même qu’il était la raison de ma mort intérieure.

Ça a commencé par un crachat au visage, parce que j’ai mis un body sous mes vêtements pour un entretien d’embauche. Le poison me demandait quel genre de travail j’allais faire pour être ainsi habillée comme une « pute ». J’ai riposté. Il m’a craché dessus puis a donné un coup de pied dans un tabouret qui a atterri dans ma direction. J’ai d’abord cru que j’allais pouvoir mettre un terme à cette relation, mais j’ai pardonné. C’est moi qui le rendais comme ça, la fille que j’étais avant lui revenait à la mémoire et il avait peur que je le déshonore. J’ai pardonné. Une fois, deux fois, mille fois. Il n’avait de cesse de me rappeler que je ne serais jamais à la hauteur d’une femme de son pays, et je croyais devoir me plier à cette volonté pour être quelqu’un de bien.

La violence était insidieuse, jamais vraiment directe. C’était de la violence psychologique, morale, mais je persistais à me dire que s’il ne levait pas la main sur moi, ce n’était pas grave. La vérité, c’est que j’étais terrorisée. Le nombre de fois ou il m’a menacé de me « casser la bouche », de me « démolir », que de toute façon je n’avais pas la force de riposter. Et c’était vrai, il me cassait en deux comme il voulait. Alors quand il me forçait à m’asseoir comme un chien pour me hurler dessus, qu’il mettait son front contre le mien pour me faire pression, ou qu’il me coinçait dans un coin de la pièce en étant menaçant, j’exécutais ses ordres, je me taisais et j’abdiquais. Petit à petit, j’ai perdu tout âme. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même et j’ai perdu toute foi de m’en sortir. Je devenais son petit jouet jusqu’à ne devenir plus qu’une humiliation humaine. Mais il me promettait de me protéger contre ceux qui m’avaient fait tant de mal auparavant. A ce moment-là, je ne voyais pas qu’il n’était qu’un abuseur de plus. J’ai tenté à plusieurs reprises de me suicider pour trouver une échappatoire, mais il était là pour me sauver, et je pensais lui devoir la vie.

Mais je suis tombée enceinte. Et cela a été le réveil. Pour lui comme pour moi. Je lui appartenais, je ne pouvais plus fuir. Alors il a commencé à être violent physiquement. Ca a commencé par des bleus aux bras lorsqu’il m’attrapait avec vigueur. Un jour, je lui ai demandé si dans la mesure ou ce bébé serait une fille, est ce qu’il se comporterait de la même manière ? Il a rétorqué qu’il déciderait de l’avenir de cette fille, qu’elle n’irait pas faire d’étude, qu’elle épousera l’homme de son choix et qu’elle serait contrainte d’être à la maison pour faire la cuisine et le ménage. Si je n’étais pas d’accord, je n’avais qu’à avorter ou le quitter. Accepter cette vie par amour était de mon propre choix, mais je ne pouvais me résigner à le faire subir à mon enfant. Alors j’ai décidé de faire les deux.

Je l’ai quitté et je l’ai sommé de quitter mon appartement, ce qu’il refusa évidemment de faire. Je lui appartenais, il était hors de question pour lui de laisser partir sa proie. Il essaya tout, les insultes, les excuses, les pleurs, l’argent. Mais j’étais résignée à le quitter.

Un soir, il a voulu fouiller mon portable. Pour lui, il était improbable que je puisse le quitter à cause de son comportement, j’avais forcément quelqu’un d’autre dans ma vie. Ce n’était pas le cas. J’ai refusé de lui donner, nous n’étions plus ensemble, il n’avait plus son mot à dire. Je lui ai rétorqué que même si « 50 mecs me passent dessus, ça ne te regarde plus ». Ça l’a mis dans une colère noire. Il m’a attrapé au cou, m’a juré de me tuer ainsi que toutes les personnes avec qui je tenterais quelque chose à l’avenir. C’est lorsqu’il leva son poing que mon frère qui vivait avec nous rentra du travail. J’ai eu le temps de fuir, en plein hiver, sans veste, jusqu’à l’appartement d’une amie.

Le lendemain, le médecin qui s’occupait de mon IVG contacta les forces de police pour leur signaler le cas de violence. Jamais je n’aurais envisagé de porter plainte, pour moi les violences physiques étaient trop rares pour justifier d’une condamnation. Après 3h à être auditionnée, l’OPJ m’a informé qu’il serait directement mis en garde à vue. Elle a été exceptionnelle, mais malheureusement ce n’est pas elle qui faisait justice.

Evidemment, ma plainte a été classée sans suite. J’ai dû faire mon IVG sous protection anonyme avec la honte de ne pas avoir été prise au sérieux. Le procureur a justifié le classement sans suite en expliquant qu’aux vues de mes traumatismes d’antan, j’avais provoqué cette situation. Je suis retournée vers le poison en me confondant d’excuses et en portant toute la culpabilité de cet événement.

Mais tous ces événements ont eu raison de moi. J’ai rédigé une lettre à l’attention du père de mon enfant pour qu’il lui explique les choses et j’ai avalé une boite de Xanax. Je me suis réveillée deux jours plus tard aux urgences et j’ai accepté de me faire internée en hôpital psychiatrique dans l’espoir de me faire aider.

Ca a été la meilleure décision de ma vie. Non seulement j’ai réussi à me sevrer du poison, mais j’ai surtout appris que le meilleur antidote était de s’aimer soi-même.  

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